Presse
L’Humanité
17 Juillet
2008
Un Goncourt sur la scène
Gilles Lefeuvre met en scène
Texaco, d’après le roman fleuve de l’auteur martiniquais Patrick Chamoiseau, prix
Goncourt 1992.
Dans un décor organisé autour d’un arbre et de
ballots de sucre, le comédien Jean-Stéphane Souchaud incarne Marie-Sophie
Laborieux, petite-fille d’esclaves censée revivre sous nos yeux l’histoire de
sa famille depuis l’abolition de l’esclavage contestée par les gros planteurs.
La langue oscille entre un créole gorgé d’images et le français des békés
(descendants d’immigrants blancs).
Sorti des fers, le grand-père de
Marie-Sophie s’enracine dans la montagne pour échapper au travail forcé.
L’éruption de la Soufrière contraint l’ancêtre à regagner la ville.
Les générations se succèdent sous
le joug du pouvoir colonial. Marie-Sophie naît, grandit, apprend à lire, à
écrire, devient l’âme combattante du quartier populaire de Texaco menacé par
les bulldozers. Dans les années soixante, le réveil fait rage sous l’impulsion
d’Aimé Césaire et des militants communistes. Texaco comme métaphore de
l’histoire douloureuse des Antilles frappe par la richesse des situations et
l’inventivité d’un comédien extrêmement mobile qui coiffe tous les rôles.
M.S. envoyée spéciale.
Riche
de paradoxes et de talents
Le Théâtre des Halles nous invite à découvrir
un spectacle inédit, celui d’un seul acteur qui se prononce au nom de plusieurs
personnages. Une fois de plus, durant ce Off d’Avignon. Ce n’est donc pas en
cela que consistent l’originalité et le charme de cette création. Mais, il
s’agit d’une de ces pièces monologuées les plus réussies et les plus
impressionnantes.
Jean-Stéphane Souchaud s’expose alors à tous les
risques : d’abord, il entreprend une tâche difficile et délicate, celle
d’adapter le roman de l’écrivain martiniquais, Patrick Chamoiseau, prix
Goncourt 1992, au théâtre. C’est un beau et minutieux travail de choix des
extraits, et de traque des écrits de Chamoiseau adaptables en images scéniques
vivantes.
Puis, il crée – sous la belle direction de Gilles
Lefeuvre – un personnage, Marie-Sophie Laborieux, petite fille d’esclave,
qui dans le roman raconte la vie de ses ascendants et l’histoire de la
Martinique. Et qui, sur scène, monologue et dialogue à travers le corps et la
voix du comédien talentueux et étonnant. La compagnie La Nuit venue nous offre
ainsi un spectacle très riche, qui embrasse autant de paradoxes que de
talents : un comédien blanc qui incarne un personnage féminin noir, un
Français métropolitain qui porte le poids de l’histoire et de la mémoire
créoles.
Au milieu des éléments de la scénographie à merveilles
– où la case en bois et des sacs de sucre de canne se métamorphosent sans
cesse afin de remplir une fonction chaque fois différente – éclairés subtilement,
s’accomplit la vraie performance du comédien. À partir du personnage de la
jeune fille, Souchaud se transforme, à coups de chapeau, en béké (descendant
d’immigrés blancs), en mulâtre, en sorcier… Toute une foule de personnages
– hommes, femmes, Noirs, Blancs, maîtres, esclaves… – naît sous les
yeux des spectateurs par le récit du protagoniste. Alors, par le biais de cette
création osée et originale, sous les regards de Charles de Gaulle et d’Aimé
Césaire, dont les portraits s’inscrivent dans la scénographie, se réalise le
rêve émouvant de la liberté et d’un spectacle universel. ¶
Maya
Saraczynska
Texaco, Théâtre des Halles
Texaco, titre du roman de Patrick Chamoiseau, est mis en
scène dans le cadre du Festival Avignon off par la compagnie bordelaise La
Nuit Venue. Sur scène, Jean-Stéphane Souchaud, seul, pendant une heure et
demi est tout à fait concluant dans les multiples rôles qu'il assume, les
multiples voix j'aime à le penser, dont celle de Marie-Sophie Laborieux,
voix-fleuve du roman de Patrick Chamoiseau, voix du théâtre, voix de la mémoire
familiale, et, enfin, voix de la mémoire antillaise dont les sources remontent
à l'esclavage et à la déportation des Africains vers les Amériques. Et la
mise-en-scène nous retrace tout cela comme une longue histoire en devenir,
définie du point de vue des nègres, de Marie-Sophie Laborieux, qui, en retraçant
sa lignée familiale, retrace surtout l'histoire de son île et de son peuple.
Le travail d'adaptation entre la forme de langage
romanesque et le théâtre est un travail difficile, pleinement accompli ici. La
mise-en-scène et les objets que le comédien dispose et agence différemment sur
la scène, sont au service de la langue et du théâtre, du mouvement, du
déplacement dans l'espace scénique. Les registres de langue, les accents du
créole et du français du béké, la gestuelle culturelle, tout est présent dans
un rythme rapide qui ne perd pas son propos. Ainsi, le comédien monte-t-il une
échelle, il se trouve sur le faîte des mornes. Le comédien descend-il de
l'échelle, il est devant la case de Marie-Sophie Laborieux. Et, que ce soit
d'un côté ou de l'autre, nous sommes avec lui, à observer les cimes des mornes.
Dans la pièce, un des épisodes très justes de
la pièce est celui de la dispute entre Marie-Sophie Laborieux,
nouvellement installée dans sa case devant Texaco, le gardien du béké qui vient
de lui dire de déguerpir. Il s'agit de leur première rencontre. La manière
dont le comédien assume à tour de rôle les deux personnages, et à un rythme
très rapide, montre toute sa maîtrise, et sa compréhension, juste de mon point
de vue, du roman, et de l'adaptation de la pièce.
Mais, un roman n'est pas une pièce de théâtre. Et
adapter, est un dur labeur. Voilà pourquoi je mets l'accent sur le travail
de la mise-en-scène, d'une justesse qui permet, à quiconque connaît le roman,
de s'y reconnaître. Cela dit, la pièce de théâtre possède une juste autonomie
par rapport au roman. C'est en cela que je vous la recommande sans modération.
Avignon, 8 juillet 2008 (Ana Rossi)
Article_sud_ouest250407_PDF (article complet au format pdf)
Extrait de l'article paru dans Sud-Ouest en avril 2007
« En adaptant « Texaco », roman de Patrick Chamoiseau, Jean-Stéphane Souchaud de la compagnie La Nuit Venue n’a pas choisi la facilité. Roman foule partiellement écrit en créole, le prix Goncourt 1992 couvre trois générations martiniquaises par la voix de Marie-Sophie Laborieux, petite fille d’esclave. (…) Le résultat est probant, étonnant parfois. L’élasticité de Souchaud semble sans limite. Noir, blanc, homme, femme, jeune, vieux, sage, fou, esclave, maître, il y a quelque chose de music-hall dans la manière qu’il a de coiffer un chapeau pour changer de rôle sous les portraits de De Gaulle et d’Aimé Césaire. Car du particulier à l’universel, dans un décor de bois flottés et de sacs de sucre de canne, la pièce, kaléidoscopique, offre quantité de tableaux. Et l’image du quartier de Texaco émerge. Il y a des beaux passages évocateurs, (…), des petites trouvailles, des raccourcis ingénieux (…). Et puis des métaphores sur le contexte politique en filigrane sourd mais dominateur comme le volcan. (…) Marie-Sophie Laborieux espère que De Gaulle lui rendra visite et c’est elle finalement qui rendra visite…à Aimé Césaire occupé dans son jardin. Un beau moment. (…) Ce qui frappe c’est l’unité de ton pour la diversité des situations. Un beau travail et une excellente introduction à une œuvre importante. »
Joël Raffier
La Provence
Texaco
Il n'est pas évident
d'adapter pour le théâtre un roman, surtout lorsque les comédiens doivent
endosser récits et dialogues joués. Jean-Stéphane Souchaud s'y est attelé et
grâce lui soit rendue de nous faire entendre le beau texte de Patrick Chamoiseau,
"Texaco".
C'est l'histoire de
plus de trois générations martiniquaises racontées par
Marie-Sophie Laborieux, petite fille d'un esclave affranchi et âme d'un
quartier en démolition-reconstruction de Fort-de-France, Texaco, en
butte aux "Békés" (descendants d'immigrés blancs) et autres
colonialistes véreux. Mais J.S. Souchaud a multiplié les difficultés en se
voulant seul en scène. Tour à tour récitant, puis mille et un
personnages, il court en tous sens sur le plateau encombré de mille
accessoires, il est blanc ou noir ou de toutes les couleurs, un képi et il est
gendarme, une louche le coiffe en mère-courage, un chapeau colonial en patron,
une casquette fait de lui un ouvrier, un tablier et il est fille... quelques
planches deviennent case, puis maison moins précaire... Cela tient du jeu
d'enfant et c'est en fait un exploit de comédien.
Quand le comédien,
exténué, revient saluer, on ne peut, sous le visage bienveillant du très Aimé,
Césaire, que remercier Jean-Stéphane Souchaud. "Quel travail que de vivre", s'exclame
Marie-Sophie bien nommée Laborieux, et quel labeur, que celui de comédien!